La nouvelle que je vais écrire est rigoureusement authentique. C’est l’histoire d’un morguier qui existe réellement. Vous aussi, vous le connaissez très bien pour l’avoir rencontré à maintes reprises. Malheureusement, comme on le dit souvent, il n’a pas le visage de l’emploi. En effet, rien, dans son aspect extérieur, ne peut vous permettre de deviner son ancienne profession, car aujourd’hui, il a pris sa retraite. Il est plutôt bel homme ; un homme affable et courtois.
Je l’avais rencontré, pour la première fois, lorsqu’il exerçait encore. Ses manières courtoises et spontanées m’avaient séduit et je m’étais rapproché de lui. C’est le genre d’homme dont on ne se sépare pas aisément, tant il est drôle. Vous passez le temps à rire, lorsque vous êtes avec lui. Je me vantais alors d’être l’un de ses amis. Par la suite, je le perdis de vue.
Il y a quelques jours, par pur hasard, j’eus le plaisir de le rencontrer à nouveau. Entre temps, l’idée de lui demander d’écrire sa mémoire avait germé dans mon esprit et y faisait son petit bonhomme de chemin. Il n’avait rien voulu en entendre. Cependant, après maintes supplications, il consentit à me raconter son histoire et
m’autorisa même à la publier.
- Si tu veux que je te dise tout, insista-t-il, promets- moi que
mon nom et mes origines ne seront jamais cités, quel qu’en soit le cas.
- Je te le promets sur tout ce que j’ai de cher au monde, jurai- je
- Je te dirai donc tout, y compris le commerce d’ossements qui
2
avait été à la « une » de tous les journaux du pays, à un moment donné.
Au fait, sa vie ne diffère pas beaucoup de celles d’autres morguiers controversés, aimés, exécrés, ou conspués qui foisonnent dans nos centres hospitaliers et des morgues privées. Ils ont tous, semble-t-il, le même comportement vis-à-vis des corps inertes. Tous s’amusent avec nos morts. A l’époque où notre homme exerçait, la profession de morguiers se faisait rare, ce métier étant encore couvert de mystère et de non-dits