La femme sans nom

- La nuit dernière, je me suis réveillée vers deux heures du matin. Je me suis dirigée vers la cuisine pour boire un verre d’eau. Je me suis retrouvée sur un chemin qui traversait un bois de conifères. J’ai alors compris que je rêvais, même si ce songe paraissait vraiment réel. Il faisait nuit ; j’avançai sans crainte. Je marchai longtemps, sans éprouver de fatigue, tout en songeant à ce qu’avait été ma vie depuis mon enfance. Je parvins enfin sur une hauteur et discernai un lac aux eaux semées de petits points lumineux. C’était magnifique. Sur les montagnes environnantes, peu d’arbres, juste une herbe rase. Une voix me chuchota que ce lac avait deux noms. Je songeai alors à vous… Je contemplais cette merveille quand apparut soudain une foule assez compacte dont on percevait seulement les contours, sans que les corps aient réellement d’épaisseur. Je pris peur car je crus qu’il s’agissait de spectres. Je distinguai aussi une lumière assez vive à l’autre extrémité du lac. Puis, une figure de blanc vêtue se détacha… Arrivée sur la rive, elle s’interrompit, scruta les eaux et c’est alors qu’elle entreprit d’avancer. Je crus qu’elle allait s’enfoncer, nager. Non, force me fut de constater qu’elle progressait sur le lac … Et cette femme… je crois que c’était vous.
- Moi ? Et pourquoi en êtes-vous si sûr ? s’enquit Gabrielle, très troublée.
Thanh Thuy secoua la tête en soupirant.
- Je ne sais pas, mais quelque chose me dit que c’était vous.
- Peut-être faut-il voir une projection personnelle dans tout cela, supputa Gabrielle.
- Que voulez-vous dire ?
- Cette figure, c’est peut-être vous-même. Marcher sur les eaux équivaut à une sorte d’accomplissement de soi et sans doute recherchez-vous un tel aboutissement.
- Vous croyez ?
- J’en suis presque persuadée. Un psychanalyste irait sans doute plus loin dans l’analyse.
- Sans doute avez-vous raison, répondit Thanh Thuy, songeuse. Mais…
- Mais quoi donc ?
- Un détail important me revient. Une musique…
- Quelle musique ?
- Il me semble que c’était du Puccini… N’était-ce pas… « Turandot » ?
- « Turandot » ? Sans doute avez-vous récemment écouté cet opéra.
- Non, justement non. Je n’en connais que quelques passages, mais ne l’ai jamais entendu dans son intégralité.
Gabrielle eut une brusque inspiration :
- La partie à laquelle vous faites allusion devait se trouver à la fin de l’opéra, au moment où la princesse révèle à son père le nom de l’étranger.
- C’était je crois une reprise de « Nessun dorma ».
- Si mes souvenirs sont bons, poursuivit Gabrielle, Franco Alfano, qui termina l’opéra après la mort de Puccini, reprit le grand air du prince dans son final.
Et Thanh Thuy, rêveuse, le regard perdu, fredonna ce qu’elle avait entendu en rêve.

Télécharger gratuitement depuis amazon.fr

Nous avons vérifié que ce livre était gratuit le 03 mai 2023 - 20:07 Détails de l'offre