Les arrivants viennent de découvrir un pays de cocagne où ils voient tout à foison. Leur énorme masse, aussi bruyante que joyeuse, s’avance sur le plateau. Le premier des chasseurs, Grih le sage, pense à tous ceux que la cohorte a rencontrés le long du chemin. Quand les signes de vie ne sont plus apparus, il a fait en sorte qu’à leur tour, les siens inscrivent leur passage à la manière de ceux qui les avaient précédés.
On raconte, les soirs de pleine lune, que les familles partirent des bords d’un immense lac. Pour cette raison, ils se désignent comme « La tribu du lac de Tana ». Étaient-ils devenus trop nombreux pour rester autour de celui-ci ?
Les anciens n’avaient pas voulu suivre l’itinéraire habituel, et s’étaient élancés vers les plateaux qui s’étageaient sur la montagne. En allant d’un lac à un autre, ils se savaient toujours bien approvisionnés par les rivières qui les rejoignaient. Quand ces dernières s’asséchaient, ils marchaient dans leurs lits et trouvaient souvent des trous bien remplis.
Une étape les conduisit au bord d’une vaste étendue d’eau, dont ils ne voyaient pas la fin. C’était beaucoup plus grand que tout ce qu’ils connaissaient.
Certains de ceux qui les précédèrent suivirent ce bord de mer, quelques rares implantations en attestaient. Les régions traversées se montraient avares en gibier, car un désert incommensurable ne voulait pas quitter le littoral à un ou deux jours de marche.
La Reine Tana, celle dont le nom vient des temps anciens, quand les aïeux vivaient dans les montagnes dirigeait le mouvement. Sa filiation remontait à celle qui avait mené la tribu, et à ses descendantes. Elle règne sans partage sur ce peuple qui l’idolâtre. Cet excès la rend souvent injuste, autoritaire, imbue de sa personne et elle estime que cela lui donne tous les droits.
Au fil des générations, les maîtresses femelles s’étaient entourées des mâles les plus forts et les plus agressifs. Elles savaient les attirer, même quand leurs clans respectifs les rejetaient. « Tana » se montre toujours capricieuse, mais c’est elle qui dirige la nation « de la grande mère » ?
Le Chef des chasseurs estime qu’elle n’a pas souvent raison, mais n’a pas la possibilité de la contredire ; ce serait mal vu. Le talisman que possède la souveraine, cette petite effigie de grosse femme modelée par la pluie et le vent, la protège efficacement. La Reine, qui ne retient pas le moindre mâle, offre ses faveurs à qui elle veut, quand l’envie lui vient. Une telle attitude ne lui coûte pas, car la nature lui a donné de grands besoins. Elle a mis au monde un nombre incalculable de petits. Les filles restent avec elle. Les garçons sont confiés dès la naissance à la famille de Grih. Le maître des chasseurs leur apprend son art après que ses propres compagnes les eurent allaités. Devenus adultes, vers huit ans, ils rejoignent la proximité de la reine, dans le premier cercle, mais seulement s’ils s’en montrent dignes.
La femelle qui dirige ne veut plus que son peuple essaime, comme ce fut le cas du temps de ses prédécesseurs. Peu de familles s’esquivent en cours de route, car elle a toujours bénéficié de la chance qui lui fit conduire les siens dans des contrées où ils trouvaient des gibiers en abondance.
Elle n’hésite pas à utiliser le bannissement comme sanction ultime. Avec sagesse, elle n’exclut que ceux qui sont trop isolés pour causer une réaction de la majorité, pourtant cette mesure calme pour longtemps les plus indisciplinés. Quand l’un de ses sujets est écarté, il suit quelquefois de loin, durant quelques jours, en espérant qu’on le rappelle. Si ce n’est pas le cas, les bêtes féroces ou la lassitude ont rapidement raison de lui.
À bien des générations de là, les hommes tenaient les premiers rôles, comme dans d’autres tribus qu’il a eu l’occasion de rencontrer lors de ses chasses éloignées. Ils ont perdu la proéminence en raison de leur désir constant de se battre.