Avant les mains qui examinent, avant le sang qui parle, avant les instruments qui mesurent ce sont bien les mères qui savent. Elles savent car elles portent ce que nous avons de plus précieux, de plus fragile et de plus beau, elles savent car elles sont les seules en phase non pas seulement avec ce cœur qui bat ou ces membres qui bougent mais avec ces sentiments qui naissent...
L'ouvrante est un témoignage, un témoignage de vie, un témoignage d'espoir, un témoignage que l'humanité existe. C'est aussi un hommage, un hommage aux femmes qui donnent la vie, qui parfois rencontrent la mort et qui au-delà de tout continuent d'avancer.
L'ouvrante est le témoignage de ce que j'ai vu et vécu au cours de ma pratique de sage-femme et elle est l'hommage que je voulais rendre à tous ceux que j'ai croisé, l'hommage que je voulais rendre à cette humanité...
Extrait:
Les hommes naissent tous égaux. Quelques soient les vies, quelques soient les prédestinées, le point de départ est toujours le même. Ils naissent tous avec les mêmes dispositions, les mêmes capacités, les mêmes dons. Ces dons ne sont rien d'autre que des gestes conditionnés, des actions préétablies, ce sont des réflexes et nous les regroupons en médecine sous le terme de réflexes archaïques. Des vestiges du fond des âges, perpétués de génération en génération, conservés au fil du temps pour la simple raison qu'ils participent à la survie de l'espèce. Cependant nous naissons de la même manière, égaux devant nos faiblesses, nos fragilités, nos dépendances, égaux aussi devant l'angoisse, devant la peur.
Un seul être focalise toutes ces attentions. Un seul est capable de recevoir ce qui nous a été donné pour nous sauver et apaiser ce que nous découvrons d'affaiblissement. Une femme aimante, attentionnée, qui plus que recevoir son enfant en assure la continuité, par tout son corps, par toute son âme. Il est de la nature que cette femme reçoive les dons de son enfant et l'allaite, lui transmette son lait et tout ce qu'il contient, tout ce qu'il représente. Nous assistons alors à un phénomène pluriel, alchimique, où l'enfant naissant se retrouve et se perpétue par le contact, par le sein, par le lait. Cependant la vie ne se cantonne pas à cette étape initiale, initiatique. Quand une femme choisit ou se trouve contrainte à un intermédiaire pour nourrir son enfant, quand l'enfant est né trop jeune pour prendre ce sein, quand les circonstances font qu'elle en est empêchée, les vrais phénomènes se révèlent plus clairement et le vrai don sacrifie sa mystique pour éclater au grand jour...le véritable don est ailleurs, le véritable échange est ailleurs, la véritable symbiose est ailleurs. Ce dont le nouveau-né est capable pour prendre le sein, tous les efforts qu'il y consent, toute l'abnégation qu'il y met, n'ont pour objectif que de l'amener à la distance suffisante pour qu'il puisse voir le visage de celle qui le porte, cette même distance à laquelle un autre qui ne tête pas est placé, dans le creux du bras, au contact du sein, alors les cœurs se remplissent se liant à jamais et la louange est rendue par l'échange des regards croisés. Le nouveau-né assure sa survie par cet instant aux accents d'éternité, par ce regard qu'il accorde à celle qui l'a enfanté, par ses yeux où elle plonge comme pour y sonder l'infini, il assure sa survie car par ce regard il fait de cette femme sa mère.