" Imaginez un monde où toute la complexité qui fait l’humanité a disparu ; un monde où il n’existe rien d’autre que le noir et le blanc, sans aucune nuance de gris. Oui, ou non, sont les seules réponses permises. Si la vérité ne vous enveloppe pas, c’est que vous baignez dans le mensonge. Il n’y a pas de demi-vérité, ni de demi-mensonge. Il ne vous est plus nécessaire de démêler le vrai du faux, car ces deux notions sont désormais clairement séparées.
Si vous étiez né dans un tel monde, que feriez-vous ? Seriez-vous en mesure de devenir soit tout blanc, soit tout noir ? Comment réagiriez-vous face à votre opposé ? Changeriez-vous de couleur ? Peut-être tenteriez-vous de rétablir ces chères nuances de gris qui vous permettent de nager sain et sauf dans les eaux troubles des relations humaines.
Le « peut-être », l’ « éventuellement », le « je ne sais pas », le « il est fort possible » sont autant d’outils qui vous aident à vous extirper, délicatement, de situations inconfortables, voire un tantinet désagréables. Quelle chance avons-nous de ne choisir ni oui ni non, de ne pas répondre totalement franchement, sans pour autant sombrer dans des fables abracadabrantes !
Vous devez admettre qu’il n’est rien de plus délectable que de brouiller les pistes, de jouer avec le doute, le soupçon. Ce froncement de sourcil sur le visage de votre interlocuteur ne vous semble-t-il pas tout à fait charmant ? Ce sourire en coin, complice, de votre ami qui sait tout au sujet du pot aux roses, tandis que les autres restent dans l’ignorance, ne vous réjouit-il pas ?
Les êtres humains aiment à entretenir leur jardin secret. Ils se battent bec et ongle pour qu’aucun intrus n’y pénètre à leur insu ; l’entrée en est farouchement gardée par des amis intimes, des confidents, qui se révèlent parfois espions et receleurs de confessions. Mais d’autres fois, ce garde malavisé périt dans les ruines du jardin. Tel est pris qui croyait prendre.
Ce monde existe, et il se nomme Dualité. Certes, le nom en est affreusement banal. Nous aurions pu espérer que les survivants de la Terre auraient fait preuve d’un peu plus d’imagination, mais il fut convenu par les deux nations qui tentèrent de se relever de leurs cendres, qu’un nom simple ferait très bien l’affaire pour nommer cet univers qu’elles se partageaient désormais."