Mercredi 3 mars 2004
Françoise, ma chérie, ça y est, c’est décidé, je me lance dans l’écriture d’un journal intime. Chose que je n’ai jamais faite, pas même à l’adolescente. J'aurais pu le commencer à dix ans, lorsque j'eus mes premières règles. A douze ans, lorsque j’accusais déjà un mètre soixante-quinze au garrot. A quinze ans lorsque ma poitrine s’est mise à pousser démesurément à pousser sans que je ne puisse faire quoi que soit pour ralentir sa progression, ébaubie comme l'armée française en déroute derrière la ligne Maginot. A seize ans, lorsque je rêvais de goûter pour la première fois les assauts vengeurs d’un nigaud qui ne tiendrait guère plus d’une minute trente-sept avant de gémir avec la sensualité d'un lanceur de poids. A dix-sept ans, lorsque j'eus ma première tendre relation avec une camarade de classe
Les années ont passé. J’ai fêté mes vingt-deux ans hier, en Cornwall, dans le cottage familial. Je vois toutes les années à venir qui s’étalent dans mon imaginaire comme un immense calendrier aux lignes vierges et je me demande furieusement ce que je vais bien pouvoir pour les remplir sans avoir trop de regrets lorsque la France remportera de nouveau le Concours Eurovision de la chanson. Je ne tiens pas à faire pleurer dans les chaumières. Il y a bien plus malheureuse que moi. Je mesure un mètre quatre-vingt huit, soit trois centimètres de plus que ma mère et seize de plus que mon père, petit parisien à la chevelure regrettée, qui rencontra ma mère dans sa ville natale de Wiesbaden, voilà un peu plus de vingt-trois ans